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Garcisse

Un peu garce, un peu narcisse…

L’action commence en 2005. C’est l’histoire d’une jeune femme d’origine flamande, Liesbeth, qui se dénude devant une webcam, et de son frère cadet, Herman, qui étudie le journalisme et s’exerce dans le mannequinat pour arrondir ses fins de mois. Il est également très féru de musique rock et joue comme claviériste dans un groupe.

Nos deux jeunes gens sont pris au piège d’une modernité criarde un peu bébête mais subtilement angoissante. Ils se retrouvent à critiquer allègrement – et dans la solitude – le monde dans lequel ils sont plongés.

On peut lire ce roman comme un récit particulier contenant quelques grotesqueries contemporaines : farce tragi-comique sur une société obnubilée par Internet et rongée par ce qu’on a coutume d’appeler les difficultés relationnelles, étalage des lieux communs du consumérisme gadgétifié, observation acerbe du tournis médiatique, ce livre met en avant une littérature du réel détonante, ainsi que le style original de l’auteur.

Sont également décrites des situations – histoires sentimentales foireuses, séance d’affichage politique à la bruxelloise, rébellion un peu vaine face au ronron médiatique de la sur-dés-information, etc.

Garcisse peut se comprendre comme la débandade d’une civilisation prise au piège de l’agitation narcissique-numérique, sans recul, prête à tout… mais à aucune sérieuse révolte.

Enfin, il s’agit d’une narration particulière dont la poésie déchaînée et revigorante prend le relais entre une forme de critique et l’apaisement.

Extraits

Je m’appelle Liesbeth, j’ai vingt-cinq ans, née en 1980. J’ai déménagé de la maison campagnarde et habite maintenant à Anvers depuis quelques années. J’ai de longs cheveux marron que je teins en blond, en noir, en rouge. J’ai trouvé une lotion qui efface soigneusement toute trace de l’ancienne couleur. Ça me coûte un pont mais je suis une femme de la mondialisation, alors je consomme, j’engloutis et je participe pleinement de la société narcissique des loisirs en kit, hypercartonnés.[...]

Herman regardait presque tous les jours les actualités sur l’une ou l’autre chaîne francophone, de façon à s’imprégner des subtilités de la langue française. Il commençait à développer son esprit critique en observant l’écran-Dieu se déshabiller, se foutre sans vergogne à poil devant ses yeux embués d’adolescent tardif.[...] En regardant cette émission et ces jeunes Japonais aux cheveux teintés en blond, il eut sans s’en rendre vraiment compte un éclair d’intuition sur ce qui guidait le monde, et alors il se souvint du titre de cette chanson du groupe britannique Radiohead : Everything in its right place.

Chaque chose à sa juste place.

Chaque être humain calcule constamment son jeu, son action, son profit, son futur. Comme si on instrumentalisait son être si strictement individuel dans le but d’en faire quelque chose de grandiose ou d’original.

Il repensait à ces derniers mois à l’Université, il était vraiment satisfait d’avoir réussi les examens mais il ne pouvait s’empêcher de ressentir que les études étaient destinées seulement à ce qu’on les réussisse, pour montrer qu’on y est arrivé, pour y être.[...]

Lors du casting, il y avait ce type assis en face de moi, à me regarder comme un ahuri, et moi à lui sourire bêtement. Un peu dans l’esprit de la Pop Academy ou de Secret Star, on réunissait des candidats pour faire l’amour comme si c’était avec « votre partenaire de la vie quotidienne » tel qu’indiqué dans le synopsis du projet. Enfin je n’y ai pas prêté grande attention, j’étais déjà contente de pouvoir participer aux éliminatoires. On allait donc baiser et tous les téléspectateurs seraient filmés aussi ; c’était ça la grande nouveauté. Le créneau était porteur : l’idée était de mettre du fun et surtout de faire grimper l’excitation. Cette émission serait diffusée à 00h20 et interdite aux moins de 16 ans. Une véritable première pour un programme dit « grand public majeur », comme s’en vantaient les concepteurs interviewés par les journalistes.[...]

auto-satisfait-et-consommateur-très-content-mais-qui-souffre-en-silence pour subsister, on assiste, médusés, à une éclosion de téléphones portables tous plus sophistiqués et grotesques les uns que les autres, à une nouvelle gamme d'hamburgers végétariens (attitude tendance) dans la chaîne de fast-food Quock, à une concurrence effrénée entre les agences de voyage ou les compagnies aériennes ; tout ce fatras fit prendre conscience à Herman d’un nouveau, quoique peut-être pas si nouveau que ça, type d’économie : le social-capitalisme-gadgétifié.

Il écrivit ce mot dans son carnet, fier de sa trouvaille.[...]

Petit à petit, et presque paradoxalement, Herman fomenta l’idée d’organiser des réunions où l’on viendrait soumettre des questions diverses qui suscitaient critique, doute ou simple interrogation.

Ainsi, parmi d’autres exemples, il réfléchit sur ce que l’on appelle l’art ; il considéra les gens qui mettaient toute leur énergie à avaler des tonnes de livres, de films, de musique et qui ensuite se mettaient à bavasser sur la question, donc à intellectualiser encore et encore ! Ce qu’il pointait, c’était cette tendance à rendre tout abstrait et maniéré, cette façon dont certains critiques et journalistes imposaient leur néo-langage composé de phrases toutes faites, de clichés et d’effervescence niaise et festive – dont le style magazine branché avec en couverture « De Darwin aux cultures martiennes», « Les nouveaux défis pour l’environnement » ou encore « Pour une mobilisation citoyenne » constituait un des symptômes. Sans oublier les newsletters de la médiathèque qu’il recevait par Internet :

« Paysans, électro belge et concerts en appartements : comment la culture bouge ! »[...]

Trois jours ont passé. Ce n’est pas très intéressant ce qui se passe ici. Je suis dans la chambre et je vais rejoindre les autres en bas, un peu plus tard. Je viens de m’enfiler un petit whisky 2cl. du minibar. Ça ne va pas. Dans ma tête, je veux dire.

J’allume la télévision. Je zappe comme une conne. Comme je m’énerve moi-même et de plus en plus, je finis par éteindre... mais je reste énervée.

Je me force à bouger. Je vais dans la salle de bains et me contemple dans le miroir. J’essaie de me maquiller ; mes mains tremblent. Ensuite je regarde la baignoire et je constate le brolletoc [1] : la partie latérale est une sorte de planche bombée qui fout le camp.

On voit que les ouvriers ont fait ça en se branlant, probablement.

Mais oui, bien sûr ! Je suis dans un hôtel-casino, d’ailleurs ça s’appelle Casino International, j’aurais dû me méfier, c’est Mieke qui a choisi, et même d’ici j’ai l’extrême joie de me farcir le grésillement incessant qui sort de deux haut-parleurs à l’entrée, une voix masculine de connard publiciglaire à l’américaine :

« Do you wanna feel like a movie actor? ... Come and taste the casino! We’ll entertain you... It’s fun! There is no obligation than just have fun... »
[...]

Le lendemain matin, très tôt, je me suis promenée sur la plage, où j’ai été accueillie par une montagne de bouteilles, canettes, cendriers remplis à ras bord et des centaines de mégots dans le sable. Je me suis assise au bord de la mer ; elle allait et venait inlassablement.

J’ai repensé à hier soir, à cette petite tour Eiffel, un bar-restaurant en face de l’hôtel, et au crooner gominé et habillé de cuir qui animait la foule avec ses reprises d’Elvis Presley, de Joe Cocker et de « Nothing Else Matters » de Metallica à la guitare acoustique. Les gens, assis, le regardaient placidement. Sur une chanson disco, le type poussait des « ouh-ah, ouh-ah, ouh-ah » en lançant ses bras en avant.
[...]