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La Grande Farandole

Je pourrais commencer par :

C’est l’histoire de…

C’est un roman qui parle de…

Mais je préfère écrire :

Pétri de farce, satire, pastiche, pamphlet aux accents sociologiques ou modestement philosophiques, La Grande Farandole est un roman incisif se voulant un pied de nez tragicomique à son époque (le début des années 2010) par une description de celle-ci en mettant en scène deux personnages trentenaires principaux, Arman et Claire. Elle travaille dans une pharmacie, lui est bénévole dans une maison d’édition universitaire. Chacun des deux comble sa solitude comme il le peut.

J’y décris brièvement une certaine Bruxelles, ses lieux, ses us et coutumes, ses façons de parler, ses expats, ses bars, son envers du décor, ses déclassés, etc.

Condensés de leur époque, les personnages évoquent les agents d’un tourbillon moderne, une sorte de voyage au bout de l’ennui-folie au sein d’une société gérée par le marketing, le consumérisme, l’économie triomphante, universitaire, technophile, numérique aux multiples injonctions. Mais la résistance solitaire bienfaisante n’est jamais loin…

J’ai voulu composer ce livre comme une gentille petite bombe qui peut éventuellement apporter aux lecteurs à la fois divertissement et instruction, jusqu’à l’explosion finale quelque peu science-fictionesque.

Ce roman se veut aussi un hommage à tous les auteurs que j’ai cités tout au long de l’intrigue pour appuyer ou égayer mes propos.

Extraits

Arman logeait dans un appartement non loin du parc, dans une rue près de la Barrière de Saint-Gilles, appelée ainsi car elle officiait effectivement comme douane commerciale au Moyen Âge.

En ce début de vingt et unième siècle, c’était plutôt un rond-point composé de pavés à l’ancienne, le plus souvent bondé de gens, de bagnoles, de trams et d’autobus ; on pouvait benoîtement voir défiler, comme aux millions de ronds-points partout dans le monde, la Grande Farandole matin, midi et soir, matin, midi et soir, puis encore matin, midi et soir, provoquant immanquablement mille encombrements dans les avenues aux alentours. Il était cocasse d’imaginer que, mettons cinquante ans auparavant, seuls une dizaine de véhicules circulaient par minute, et sans doute moins vite et moins agressivement, mais ennuyaient déjà probablement ceux qui pestaient contre le bruit et la pollution ; les fameux récalcitrants au progrès – yeah ça pulse ah ouais il a fait l’buzz ah ouais va voir sur son profil Fakebook tu verras –, les résistants à la fabuleuse modernité qui se déployait à l’humanité pleine d’espoir convaincu ! Ces intrépides bornés, qui vouaient une méfiance à l’encontre de ces petits riens qu’on essayait de leur imposer de force, étaient déjà qualifiés de réactionnaires par nos valeureux progressistes d’antan, fiers ancêtres de nos mutants des temps désargentés.

Au poste ! Arman-le-bénévole a le désagréable sentiment de se faire comme qui dirait entourlouper car il continue à toucher les allocs’ ; il entend vaguement qu’une loi sera votée – quand le pays non gouvernable se doterait d’un nouveau prétendant-gouvernail – qui mettrait sur le paillasson on ne sait combien de milliers de chômeurs, qui sont tous de vilains profiteurs, c’est archi-connu depuis la première chute des feuilles mortes.
Bref, il voudrait être payé, toucher un vrai salaire quoi !
Il ressent des ondes de chaleur quand il partage des moments conviviaux avec Joëlle et Stéphanie qui semblent l’apprécier pour sa gentillesse spontanée ou sa touchante timidité ; l’une se comporte avec lui de façon camarade (Stéphanie) et l’autre de façon plus maternelle (Joëlle).
Ce début d’automne est caliente ; un été indien s’est installé, profitons-en. Il compte boire un coup après le boulot, seul ou accompagné, il ne sait pas encore. Mélanie lui manque, mais essentiellement parce que sa libido lui enjoint de copuler.
Subitement, il percute. Il ne l’aime pas vraiment dans l’absolu ; il ne l’aime que pour la posséder physiquement, a-t-il finalement osé s’avouer.
Ce jour-là, il avait du boulot mais il ne parvenait pas à se concentrer, car le boss était en intense discussion avec un de ses amis dans le couloir. Philippe, il faut réellement vous l’imaginer, c’est le patron forever-born-again-yeah, il fait ce qu’il veut, où il veut, comme il le veut, les panards à l’air si ça lui chante, cool, à l’aise quoi ! Et d’ailleurs, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, il vous emmerde, na !
Arman entendait tout, exactement comme s’ils postillonnaient dans sa gueule. Mû par une curiosité de désoeuvré, il se leva et se dirigea vers la fenêtre surélevée au-dessus de la porte. Se haussant sur la pointe des pieds, il put les contempler en plein climax du spectacle, à la fin de la représentation. En bon affilié atavique de la famille pompeusement auto-congratulée de libérale, Philippe vouait une haine sans bornes à l’encontre de ce qu’on appelait communément l’écologie, la soupçonnant du crime ultime de dictature voilée et liberticide :
« Attends, putain, regarde-les ces écolos bobos à la con, tu ne vis pas si tu dois commencer à faire attention à tout c’que tu bouffes quand même !
- C’est clair, à fond !
- Le bio et toutes ces conneries, c’est un truc pour nous faire gober leur propagande de retour à la nature tu vois.
- Ah ouais, à fond ! »

Laurent Goossens, publicitaire bruxellois de père en fils, mâchonnait un sandwich jambon-fromage. Debout devant Philippe qui ne lâchait pas son iTuzG567, il tenait de son côté un joli iPikMax portable tout neuf dont la prise blanche pendouillait en se balançant à gauche et à droite.
Les tifs gominés plaqués en arrière, façon assumée kitsch années-1990-Beverly-Hills, Laurent évacua sans manières la moitié du sandwich dans la poubelle du couloir.
Copains depuis une dizaine d’années, ils s’étaient rencontrés en pratiquant ce noble sport très prisé par leur espèce, le kitesurf ; ils avaient quelques potes en commun.
Le gominé passa à autre chose :
« Alors cette fille hier, au Belga ? Tu m’as dit qu’elle… » Et sur le même débit rapide et saccadé, Philippe le coupa :
« Ah ouais écoute, encore une qui a dépassé les trente ans et qui veut un mioche. Ces hystériques se braquent sur des mecs de quarante ans qui ont une situation financière comme moi tu vois mais qui n’ont pas forcément envie d’pouponner !

- Ouais c’est clair.
- Allez on y va ou quoi ?
- Go c’est parti ! »